mercredi 15 juin 2016

Les réseaux sociaux et les troubles alimentaires.


Une récente étude américaine établit un lien entre une utilisation abusive des réseaux sociaux et les troubles du comportement alimentaire. Décryptage avec le sociologue Antonio Casilli.

Les réseaux sociaux influencent-ils réellement l'image que l'on a de soi et peuvent-ils à l'extrême favoriser l'apparition de troubles alimentaires ? La question se pose depuis quinze ans, comprenez depuis l'arrivée d'Internet, mais sans qu'aucune réponse ne soit jamais trouvée. Dernières données en date, les recherches de scientifiques de l'université de Pittsburgh (États-Unis), publiées le 5 mai dans le Journal of the academy of nutrition and dietetics. Selon eux, l'addiction aux réseaux sociaux et les troubles alimentaires comme l'anorexie ou la boulimie sont liés.

D'après leurs conclusions, sur les 1765 participants interrogés, âgés de 19 à 32 ans, ceux qui passaient le plus de temps sur les réseaux présentaient un risque de 2, 2 à 2, 6 fois plus élevé d'être concernés par des soucis liés à l'alimentation.

L'information paraît plausible au vu des images de corps fuselés, d'assiettes équilibrées et des challenges de perte de poids express véhiculées sur Instagram ou encore Facebook. Mais pour le sociologue Antonio Casilli . le problème est ailleurs. Entretien.

le sociologue ajoute que Cette étude me pose deux problèmes. D'abord elle s'appuie sur une base de données commerciales. Même si l'échantillon est intéressant, les participants recrutés viennent d'une entreprise privée et nous n'avons aucun regard sur ces derniers.

 Deuxièmement, aucun lien de causalité entre le fait de consulter les réseaux sociaux et le développement de soucis liés à l'alimentation n'a été démontré. Les chercheurs eux-mêmes ne parlent que d'une « association ».

Les personnes se tournent vers Internet parce qu'elles n'ont pas trouvé l'écoute souhaitable
On ne peut donc pas dire que la tendance des challenges fitness ou la foodporn, entre autres, favorisent l'obsession d'un corps mince et les problèmes liés à l'alimentation ?

Les réseaux sociaux sont une infrastructure trop vaste pour expliquer un problème qui concerne une portion très ciblée de la population. Dire que les réseaux sociaux sont les fautifs reviendrait à dire qu'être sur une autoroute entraîne des accidents. Ou encore qu'avoir des prises de courant chez soi provoque des électrocutions... La mode des blogueurs fitness est avant tout liée à l'intérêt de notre société pour l'esthétique. Nous y sommes tous et toutes exposé(e)s, pourtant nous ne développons pas tous un trouble alimentaire.

Le problème est que nous avons toujours la même mauvaise démarche pour étudier le sujet qui consiste à se demander si, depuis l'arrivée d'Internet dans les foyers au début des années 2000, les médias provoquent ou encouragent les comportements à risques. Et chaque résultat trouvé est problématique, nous n'avons jamais réussi à démontrer que les jeux vidéos entraînent la violence ou que la pornographie favorisent la perversion. À mon avis, on se trompe. Les problèmes alimentaires sont liés à des choses « moins sexy » que les réseaux sociaux.

Comme quoi ?

Les troubles alimentaires sont multifactoriels et l'on ne peut pas donner de cause unique. Mais ce que l'on remarque, c'est que les troubles liés à Internet se développent dans des zones géographiques où la prise en charge est insuffisante. Ils sont liés aux défaillances des hôpitaux, aux déserts médicaux. Ces personnes se tournent vers Internet parce qu'elles n'ont pas trouvé d'écoute souhaitable chez leur médecin traitant. 

Le véritable problème réside dans la défaillance de la réponse publique. Pour étudier la thématique, il faut prendre l'utilisation des réseaux sociaux des personnes en souffrance comme un outil thérapeutique. La censure ou le filtrage ne sert à rien, au contraire. Empêcher des gens de communiquer favorise justement la prise de risques.

•     Antonio Casilli est sociologue et enseignant chercheur à Télécom ParisTech. Il est le coauteur avec Paola Tubaro de Le phénomène « pro-ana ». Troubles alimentaires et réseaux sociaux, (Éd. Presses de l'École des Mines, à paraître en septembre 2016.

Les réseaux sociaux et les troubles alimentaires.


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